Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/324

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ce philosophe que le malheur ne peut ébranler & qui succombe au premier accident qui le sépare de sa maîtresse ? Quel prétexte excusera désormais ma honte à mes propres yeux, quand je ne vois plus dans celui qui m’a séduite qu’un homme sans courage, amolli par les plaisirs, qu’un cœur lâche, abattu par les premiers revers, qu’un insensé qui renonce à la raison sitôt qu’il a besoin d’elle ? Ô Dieu ! dans ce comble d’humiliation devais-je me voir réduite à rougir de mon choix autant que de ma foiblesse ?

Regarde à quel point tu t’oublies : ton ame égarée & rampante s’abaisse jusqu’à la cruauté ! tu m’oses faire des reproches ! tu t’oses plaindre de moi !… de ta Julie !… Barbare !… Comment tes remords n’ont-ils pas retenu ta main ? Comment les plus doux témoignages du plus tendre amour qui fut jamais t’ont-ils laissé le courage de m’outrager ? Ah ! si tu pouvois douter de mon cœur, que le tien seroit méprisable ! Mais non, tu n’en doutes pas, tu n’en peux douter, j’en puis défier ta fureur ; & dans cet instant même, où je hais ton injustice, tu vois trop bien la source du premier mouvement de colere que j’éprouvai de ma vie.

Peux-tu t’en prendre à moi, si je me suis perdue par une aveugle confiance & si mes dessins n’ont point réussi ? Que tu rougirois de tes duretés si tu connoissois quel espoir m’avoit séduite, quels projets j’osai former pour ton bonheur & le mien & comment ils se sont évanouis avec toutes mes espérances ! Quelque jour, j’ose m’en flatter encore, tu pourras en savoir davantage & tes regrets me vengeront de tes reproches. Tu sais la défense de mon pere ;