Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/339

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LETTRE XI. DE JULIE.

Il est donc vrai que mon ame n’est pas fermée au plaisir & qu’un sentiment de joie y peut pénétrer encore ! Hélas ! je croyois depuis ton départ n’être plus sensible qu’à la douleur ; je croyois ne savoir que souffrir loin de toi & je n’imaginais pas même des consolations à ton absence. Ta charmante lettre à ma cousine est venue me désabuser ; je l’ai lue & baisée avec des larmes d’attendrissement : elle a répandu la fraîcheur d’une douce rosée sur mon cœur séché d’ennuis & flétri de tristesse ; & j’ai senti, par la sérénité qui m’en est restée, que tu n’as pas moins d’ascendant de loin que de près sur les affections de ta Julie.

Mon ami, quel charme pour moi de te voir reprendre cette vigueur de sentimens qui convient au courage d’un homme ! Je t’en estimerai davantage & m’en mépriserai moins de n’avoir pas en tout avili la dignité d’un amour honnête, ni corrompu deux cœurs à la fois. Je te dirai plus, à présent que nous pouvons parler librement de nos affaires ; ce qui aggravoit mon désespoir étoit de voir que le tien nous ôtoit la seule ressource qui pouvoit nous rester dans l’usage de tes talents. Tu connois maintenant le digne ami que le Ciel t’a donné : ce ne seroit pas trop de ta vie entiere pour mériter ses bienfaits ; ce ne sera jamais assez pour réparer l’offense que tu viens de lui faire, & j’espere que tu n’auras