Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/417

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Nous restâmes ainsi quatre ou cinq jours ensemble, contens les uns des autres & de nous-mêmes. Au lieu de passer en revue Paris & ses folies, nous l’oubliâmes. Tout notre soin se bornoit à jouir entre nous d’une société agréable & douce. Nous n’eûmes besoin ni de satires ni de plaisanteries pour nous mettre de bonne humeur ; & nos ris n’étaient pas de raillerie, mais de gaieté, comme ceux de ta cousine.

Une autre chose acheva de me faire changer d’avis sur leur compte. Souvent, au milieu de nos entretiens les plus animés, on venoit dire un mot à l’oreille de la maîtresse de la maison. Elle sortoit, alloit s’enfermer pour écrire & ne rentroit de longtemps. Il étoit aisé d’attribuer ces éclipses à quelque correspondance de cœur, ou de celles qu’on appelle ainsi. Une autre femme en glissa légerement un mot qui fut assez mal reçu ; ce qui me fit juger que si l’absente manquoit d’amants, elle avoit au moins des amis. Cependant la curiosité m’ayant donné quelque attention, quelle fut ma surprise en apprenant que ces prétendus grisons de Paris étoient des paysans de la paroisse qui venoient, dans leurs calamités, implorer la protection de leur dame ; l’un surchargé de tailles à la décharge d’un plus riche, l’autre enrôlé dans la milice sans égard pour son âge & pour ses enfants [1] ; l’autre écrasé d’un puissant voisin par un proces injuste ; l’autre ruiné par la grêle & dont on exigeoit le bail à la rigueur. Enfin tous avoient quelque grâce à demander, tous étoient patiemment

  1. On a vu cela dans l’autre guerre ; mais non dans celle-ci, que je sache. On épargne les hommes mariés & l’on en fait ainsi marier beaucoup.