Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/425

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Julie ! le voile est déchiré… je te vois… je vois tes divins attraits ! Mabouche & mon cœur leur rendent le premier hommage, mes genoux fléchissent… Charmes adorés, encore une fois vous aurez enchanté mes yeux ! Qu’il est prompt, qu’il est puissant, le magique effet de ces traits chéris ! Non, il ne faut point, comme tu prétends, un quart d’heure pour le sentir ; une minute, un instant suffit pour arracher de mon sein mille ardens soupirs & me rappeler avec ton image celle de mon bonheur passé. Pourquoi faut-il que la joie de posséder un si précieux trésor soit mêlée d’une si cruelle amertume ? Avec quelle violence il me rappelle des tems qui ne sont plus ! Je crois, en le voyant, te revoir encore ; je crois me retrouver à ces momens délicieux dont le souvenir fait maintenant le malheur de ma vie & que le Ciel m’a donnés & ravis dans sa colere. Hélas ! un instant me désabuse, toute la douleur de l’absence se ranime & s’aigrit en m’ôtant l’erreur qui l’a suspendue & je suis comme ces malheureux dont on n’interrompt les tourmens que pour les leur rendre plus sensibles. Dieux ! quels torrens de flammes mes avides regards puisent dans cet objet inattendu ! ô comme il ranime au fond de mon cœur tous les mouvemens impétueux que ta présence y faisoit naître ! ô Julie, s’il étoit vrai qu’il pût transmettre à tes sens le délire & l’illusion des miens !…Mais pourquoi ne le seroit-il pas ? Pourquoi des impressions que l’ame porte avec tant d’activité n’iroient-elles pas aussi loin qu’elle ? Ah ! chère amante ! où que tu sois, quoi que tu fasses au moment où j’écris cette lettre, au moment où ton portrait reçoit tout ce que ton idolâtre amant adresse à ta personne, ne sens-tu pas ton