Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/424

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le matin pour mes affaires : je ne m’en sers même qu’à regret l’apres-midi pour quelques visites ; car j’ai deux jambes fort bonnes dont je serois bien fâché qu’un peu plus d’aisance dans ma fortune me fît négliger l’usage.

J’étois fort embarrassé dans mon fiacre avec mon paquet ; je ne voulois l’ouvrir que chez moi, c’étoit ton ordre. D’ailleurs une sorte de volupté qui me laisse oublier la commodité dans les choses communes me la fait rechercher avec soin dans les vrais plaisirs. Je n’y puis souffrir aucune sorte de distraction & je veux avoir du tems & mes aises pour savourer tout ce qui me vient de toi. Je tenois donc ce paquet avec une inquiete curiosité dont je n’étois pas le maître ; je m’efforçois de palper à travers les enveloppes ce qu’il pouvoit contenir ; & l’on eût dit qu’il me brûloit les mains à voir les mouvemens continuels qu’il faisoit de l’une à l’autre. Ce n’est pas qu’à son volume, à son poids, au tonde ta lettre, je n’eusse quelque soupçon de la vérité ; mais le moyen de concevoir comment tu pouvois avoir trouvé l’artiste & l’occasion ? Voilà ce que je ne conçois pas encore : c’est un miracle de l’amour ; plus il passe ma raison, plus il enchante mon cœur ; & l’un des plaisirs qu’il me donne est celui de n’y rien comprendre.

J’arrive enfin, je vole, je m’enferme dans ma chambre, je m’asseye hors d’haleine, je porte une main tremblante sur le cachet. Ô premiere influence du talisman ! j’ai senti palpiter mon cœur à chaque papier que j’ôtois & je me suis bientôt trouvé tellement oppressé que j’ai été forcé de respirer un moment sur la derniere enveloppe… Julie !… ô ma