Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/470

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se fondent tristement dans le seul qui les absorbe ! L’amitié même en est attiédie ; à peine partage-t-elle encore le plaisir que je goûte à la voir ; et son cœur malade ne sait plus rien sentir que l’amour & la douleur. Hélas ! qu’est devenu ce caractere aimant & sensible, ce goût si pur des choses honnêtes, cet intérêt si tendre aux peines & aux plaisirs d’autrui ? Elle est encore, je l’avoue, douce, généreuse, compatissante ; l’aimable habitude de bien faire ne sauroit s’effacer en elle ; mais ce n’est plus qu’une habitude aveugle, un goût sans réflexion. Elle fait toutes les mêmes choses, mais elle ne les fait plus avec le même zele ; ces sentimens sublimes se sont affoiblis, cette flamme divine s’est amortie, cet ange n’est plus qu’une femme ordinaire. Ah ! quelle ame vous avez ôtée à la vertu !

LETTRE II. DE L’AMANT DE JULIE À MDE. D’ETANGE.

Pénétré d’une douleur qui doit durer autant que moi, je me jette à vos pieds, Madame, non pour vous marquer un repentir qui ne dépend pas de mon cœur, mais pour expier un crime involontaire en renonçant à tout ce qui pouvoit faire la douceur de ma vie. Comme jamais sentimens humains n’approcherent de ceux que m’inspira votre adorable fille, il n’y eut jamais de sacrifice égal à celui que je viens faire à la plus respectable des meres ; mais Julie m’a trop