Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/498

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de l’état où elle étoit, sans craindre la communication d’un venin si terrible, il la couvroit de baisers, & de larmes. À son aspect j’éprouvai cette vive, & délicieuse émotion que me donnoit quelquefois sa présence inattendue. Je voulus m’élancer vers lui ; on me retint ; tu l’arrachas de ma présence ; & ce qui me toucha le plus vivement, ce furent ses gémissemens que je crus entendre à mesure qu’il s’éloignoit.

Je ne puis te représenter l’effet étonnant que ce rêve a produit sur moi. Ma fievre a été longue, & violente ; j’ai perdu la connoissance durant plusieurs jours ; j’ai souvent rêvé à lui dans mes transports ; mais aucun de ces rêves n’a laissé dans mon imagination des impressions aussi profondes que celle de ce dernier. Elle est telle qu’il m’est impossible de l’effacer de ma mémoire, & de mes sens. À chaque minute, à chaque instant, il me semble le voir dans la même attitude ; son air, son habillement, son geste, son triste regard, frappent encore mes yeux : je crois sentir ses levres se presser sur ma main ; je la sens mouiller de ses larmes ; les sons de sa voix plaintive me font tressaillir ; je le vois entraîner loin de moi ; je fais effort pour le retenir encore : tout me retrace une scene imaginaire avec plus de force que les événemens qui me sont réellement arrivés.

J’ai long-tems hésité à te faire cette confidence ; la honte m’empêche de te la faire de bouche ; mais mon agitation, loin de se calmer, ne fait qu’augmenter de jour en jour, & je ne puis plus résister au besoin de t’avouer ma folie. Ah ! qu’elle s’empare de moi tout entiere ! Que ne puis-je