Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/499

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

achever de perdre ainsi la raison, puisque le peu qui m’en reste ne sert plus qu’à me tourmenter !

Je reviens à mon rêve. Ma cousine, raille-moi, si tu veux, de ma simplicité ; mais il y a dans cette vision je ne sais quoi de mystérieux qui la distingue du délire ordinaire. Est-ce un pressentiment de la mort du meilleur des hommes ? Est-ce un avertissement qu’il n’est déjà plus ? Le Ciel daigne-t-il me guider au moins un fois, & m’invite-t-il à suivre celui qu’il me fit aimer ? Hélas ! l’ordre de mourir sera pour moi le premier de ses bienfaits.

J’ai beau me rappeler tous ces vains discours dont la philosophie amuse les gens qui ne sentent rien ; ils ne m’en imposent plus, & je sens que je les méprise. On ne voit point les esprits, je le veux croire ; mais deux âmes si étroitement unies ne sauroient-elles avoir entre elles une communication immédiate, indépendante du corps, & des sens ? L’impression directe que l’une reçoit de l’autre ne peut-elle pas la transmettre au cerveau, & recevoir de lui par contre-coup les sensations qu’elle lui a données ?… Pauvre Julie, que d’extravagances ! Que les passions nous rendent crédules !, & qu’un cœur vivement touché se détache avec peine des erreurs même qu’il aperçoit !