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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/501

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conséquence. Tant de souvenirs amers, ton danger, le sien, le désordre où je le voyois, tout empoisonnoit une si douce surprise, & j’étois trop saisie pour lui faire beaucoup de caresses. Je l’embrassai pourtant avec un serrement de cœur qu’il partageoit, & qui se fit sentir réciproquement par de muettes étreintes, plus éloquentes que les cris & les pleurs. Son premier mot fut : Que fait-elle ? Ah ! que fait-elle ? Donnez-moi la vie ou la mort. Je compris alors qu’il étoit instruit de ta maladie, & croyant qu’il n’en ignoroit pas non plus l’espece, j’en parlai sans autre précaution que d’exténuer le danger. Sitôt qu’il sçut que c’étoit la petite vérole il fit un cri & se trouva mal. La fatigue & l’insomnie jointes à l’inquiétude d’esprit, l’avoient jetté dans un tel abattement qu’on fut long-tems à le faire revenir. À peine pouvoit-il parler ; on le fit coucher.

Vaincu par la nature, il dormit douze heures de suite, mais avec tant d’agitation, qu’un pareil sommeil devoit plus épuiser que réparer ses forces. Le lendemain, nouvel embarras ; il vouloit te voir absolument. Je lui opposai le danger de te causer une révolution ; il offrit d’attendre qu’il n’y eût plus de risque ; mais son séjour même en étoit un terrible ; j’essayai de le lui faire sentir. Il me coupa durement la parole. Gardez votre barbare éloquence, me dit-il, d’un ton d’indignation : c’est trop l’exercer à ma ruine. N’espérez pas me chasser encore comme vous fîtes à mon exil. Je viendrois cent fois du bout du monde pour la voir un seul instant : mais je jure par l’Auteur de mon être, ajouta-t-il impétueusement, que je ne partirai point d’ici sans