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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/106

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d’intérêt qui divisent sans cesse les gens d’une maison, même aussi peu nombreuse que celle-ci, ils ne demeurent presque jamais unis qu’aux dépens du maître. S’ils s’accordent, c’est pour voler de concert : s’ils sont fideles, chacun se fait valoir aux dépens des autres. Il faut qu’ils soient ennemis ou complices ; & l’on voit à peine le moyen d’éviter à la fois leur friponnerie, & leurs dissensions. La plupart des peres de famille ne connaissent que l’alternative entre ces deux inconvénients. Les uns, préférant l’intérêt à l’honnêteté, fomentent cette disposition des valets aux secrets rapports & croient faire un chef-d’œuvre de prudence en les rendant espions ou surveillans les uns des autres. Les autres, plus indolents, aiment qu’on les vole & qu’on vive en paix ; ils se font une sorte d’honneur de recevoir toujours mal des avis qu’un pur zele arrache quelquefois à un serviteur fidele. Tous s’abusent également. Les premiers, en excitant chez eux des troubles continuels, incompatibles avec la regle, & le bon ordre, n’assemblent qu’un tas de fourbes & de délateurs, qui s’exercent, en trahissant leurs camarades, à trahir peut-être un jour leurs maîtres. Les seconds, en refusant d’apprendre ce qui se fait dans leur maison, autorisent les ligues contre eux-mêmes, encouragent les méchants, rebutent les bons & n’entretiennent à grands frais que des fripons arrogants & paresseux, qui, s’accordant aux dépens du maître, regardent leurs services comme des grâces & leurs vols comme des droits [1].

  1. J’ai examiné d ;assez près la police des grands maisons & j’ai vu clairement qu’il impossible à un maître-qui a vingt domestiques de venir jamais à bout de savoir s’il y a parmi eux un honnête homme & de ne pas prendre pour tel le plus méchant fripon de tous. Cela seul me dégoûteroit d’être au nombre des riches. Un des plus doux plaisirs de la vie, le plaisir de la cponfiance & de l’estime est perdu pour ces malheureux. Ils achetent bien cher tout leur or.