Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/113

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moins les graves réprimandes de M. de Wolmar que les reproches touchans de Julie. L’un faisant parler la justice & la vérité, humilie & confond les coupables ; l’autre leur donne un regret mortel de l’être, en leur montrant celui qu’elle a d’être forcée à leur ôter sa bienveillance. Souvent elle leur arrache des larmes de douleur & de honte & il ne lui est pas rare de s’attendrir elle-même en voyant leur repentir, dans l’espoir de n’être pas obligée à tenir parole.

Tel qui jugeroit de tous ces soins sur ce qui se passe chez lui ou chez ses voisins, les estimeroit peut-être inutiles ou pénibles. Mais vous, Milord, qui avez de si grandes idées des devoirs & des plaisirs du pere de famille, & qui connoissez l’empire naturel que le génie & la vertu ont sur le cœur humain, vous voyez l’importance de ces détails & vous sentez à quoi tient leur succès. Richesse ne fait pas riche, dit le Roman de la Rose. Les biens d’un homme ne sont point dans ses coffres, mais dans l’usage de ce qu’il en tire, car on ne s’approprie les choses qu’on possede que par leur emploi & les abus sont toujours plus inépuisables que les richesses ; ce qui fait qu’on ne jouit pas à proportion de sa dépense, mais à proportion qu’on la sait mieux ordonner. Un fou peut jetter des lingots dans la mer & dire qu’il en a joui : mais quelle comparaison entre cette extravagante jouissance & celle qu’un homme sage eût su tirer d’une moindre somme ? L’ordre & la regle qui multiplient & perpétuent l’usage des biens, peuvent seuls transformer le plaisir en bonheur. Que si c’est du rapport des choses à nous que naît la véritable propriété ; si c’est plutôt l’emploi des richesses que leur acquisition qui nous