LETTRES
DE
DEUX AMANS,
HABITANS D’UNE PETITE VILLE
AU PIED DES ALPES.
LETTRE I.
de Mde. de Wolmar à Madame d’Orbe.
Que tu tardes long-tems à revenir ! Toutes ces allées
& venues ne m’accommodent point. Que d’heures se perdent
à te rendre où tu devrois toujours être, & qui pis est, à
t’en éloigner ! L’idée de se voir pour si peu de tems gâte
tout le plaisir d’être ensemble. Ne sens-tu pas qu’être ainsi
alternativement chez toi & chez moi, c’est n’être bien nulle
part, & n’imagines-tu point quelque moyen de faire que tu
sois en même tems chez l’une & chez l’autre ?
Que faisons-nous, chére cousine ? Que d’instans précieux nous laissons perdre, quand il ne nous en reste plus à prodiguer ! Les années se multiplient, la jeunesse commence à fuir ; la vie s’écoule ; le bonheur passager qu’elle offre est entre nos mains, & nous négligeons d’en jouir ! Te souvient-il du tems