Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/130

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ne leur manque, où personne ne les trouble. Voilà comment la patrie des peres est encore celle des enfans & comment la peuplade se soutient & se multiplie.

Ah ! dit Julie, vous ne voyez plus rien ! chacun ne songe plus qu’à soi ; mais des époux inséparables, le zele des soins domestiques, la tendresse paternelle & maternelle, vous avez perdu tout cela. Il y a deux mois qu’il faloit être ici pour livrer ses yeux au plus charmant spectacle & son cœur au plus doux sentiment de la nature.Madame, repris-je assez tristement, vous êtes épouse & mere ; ce sont des plaisirs qu’il vous appartient de connaître. Aussitôt M. de Wolmar, me prenant par la main, me dit en la serrant : Vous avez des amis & ces amis ont des enfans ; comment l’affection paternelle vous serait-elle étrangere ? Je le regardai, je regardai Julie ; tous deux se regarderent & me rendirent un regard si touchant, que, les embrassant l’un après l’autre, je leur dis avec attendrissement : Ils me sont aussi chers qu’à vous. Je ne sais par quel bizarre effet un mot peut ainsi changer une ame ; mais, depuis ce moment, M. de Wolmar me paroit un autre homme & je vois moins en lui le mari de celle que j’ai tant aimée que le pere de deux enfans pour lesquels je donnerois ma vie.

Je voulus faire le tour du bassin pour aller voir de plus près ce charmant asile & ses petits habitants ; mais Madame de Wolmar me retint. Personne, me dit-elle, ne va les troubler dans leur domicile & vous êtes même le premier de nos hôtes que j’aie amené jusqu’ici. Il y a quatre clefs de ce verger, dont mon pere & nous avons chacun une :