Aller au contenu

Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

table se sent de l’abondance générale ; mais cette abondance n’est point ruineuse ; il y regne une sensualité sans rafinement ; tous les mets sont communs, mais excellens dans leurs especes ; l’apprêt en est simple & pourtant exquis. Tout ce qui n’est que d’appareil, tout ce qui tient à l’opinion, tous les plats fins & recherchés, dont la rareté fait tout le prix & qu’il faut nommer pour les trouver bons, en sont bannis à jamais ; & même, dans la délicatesse & le choix de ceux qu’on se permet, on s’abstient journellement de certaines choses qu’on réserve pour donner à quelque repas un air de fête qui les rend plus agréables sans être plus dispendieux. Que croiriez-vous que sont ces mets si sobrement ménagés ? Du gibier rare ? Du poisson de mer ? Des productions étrangeres ? Mieux que tout cela ; quelque excellent légume du pays, quelqu’un des savoureux herbages qui croissent dans nos jardins, certains poissons du lac apprêtés d’une certaine maniere, certains laitages de nos montagnes, quelque pâtisserie à l’allemande, à quoi l’on joint quelque piece de la chasse des gens de la maison : voilà tout l’extraordinaire qu’on y remarque ; voilà ce qui couvre & orne la table, ce qui excite & contente notre appétit les jours de réjouissance. Le service est modeste & champêtre, mais propre & riant ; la grace & le plaisir y sont, la joie & l’appétit l’assaisonnent. Des surtouts dorés autour desquels on meurt de faim, des cristaux pompeux chargés de fleurs pour tout dessert, ne remplissent point la place des mets ; on n’y sait point l’art de nourrir l’estomac par les yeux, mais on y sait celui d’ajouter du charme à la bonne chére, de manger