Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/223

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appartient au sage, c’est parce qu’il est de tous les hommes celui à qui la fortune peut le moins ôter.

Ce qui me paroît le plus singulier dans sa tempérance, c’est qu’elle la suit sur les mêmes raisons qui jettent les voluptueux dans l’exces. La vie est courte, il est vrai, dit-elle ; c’est une raison d’en user jusqu’au bout & de dispenser avec art sa durée, afin d’en tirer le meilleur parti qu’il est possible. Si un jour de satiété nous ôte un an de jouissance, c’est une mauvaise philosophie d’aller toujours jusqu’où le désir nous mene, sans considérer si nous ne serons pas plustôt au bout de nos facultés que notre carriere & si notre cœur épuisé ne mourra point avant nous. Je vois que ces vulgaires Epicuriens pour ne vouloir jamais perdre une occasion les perdent toutes & toujours ennuyés au sein des plaisirs n’en savent jamais trouver aucun. Ils prodiguent le tems qu’ils pensent économiser & se ruinent comme les avares pour ne savoir rien perdre à propos. Je me trouve bien de la maxime opposée & je crois que j’aimerois encore mieux sur ce point trop de sévérité que de relâchement. Il m’arrive quelquefois de rompre une partie de plaisir par la seule raison qu’elle m’en fait trop ; en la renouant j’en jouis deux fois. Cependant, je m’exerce à conserver sur moi l’empire de ma volonté ; & j’aime mieux être taxée de caprice que de me laisser dominer par mes fantaisies.

Voilà sur quel principe on fonde ici les douceurs de la vie & les choses de pur agrément. Julie a du penchant à la gourmandise, & dans les soins qu’elle donne à toutes les parties du ménage, la cuisine sur-tout n’est pas négligée. La