Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/230

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qui a cinquante domestiques n’en a-t-il pas cent ? Cette belle vaisselle d’argent, pourquoi n’est-elle pas d’or ? Cet homme qui dore son carrosse, pourquoi ne dore-t-il pas ses lambris ? Si ses lambris sont dorés, pourquoi son toit ne l’est-il pas ? Celui qui voulut bâtir une haute tour faisoit bien de la vouloir porter jusqu’au ciel ; autrement il eût eu beau l’élever, le point où il se fût arrêté n’eût servi qu’à donner de plus loin la preuve de son impuissance. Ô homme petit & vain ! montre-moi ton pouvoir, je te montrerai ta misere.

Au contraire, un ordre de choses où rien n’est donné à l’opinion, où tout a son utilité réelle & qui se borne aux vrais besoins de la nature, n’offre pas seulement un spectacle approuvé par la raison, mais qui contente les yeux & le cœur, en ce que l’homme ne s’y voit que sous des rapports agréables, comme se suffisant à lui-même, que l’image de sa foiblesse n’y paroit point & que ce riant tableau n’excite jamais de réflexions attristantes. Je défie aucun homme sensé de contempler une heure durant le palais d’un prince & le faste qu’on y voit briller, sans tomber dans la mélancolie & déplorer le sort de l’humanité. Mais l’aspect de cette maison & de la vie uniforme & simple de ses habitans répand dans l’âme des spectateurs un charme secret

    il est a la erci de ses chevaux ; mille embarras l’arretent dans les rues ; il brule d’arrive & ne fait plus qu’il a des jambes. Chloé l’attend, les boues le retiennent, le poids de l’or de son habit l’accable & il ne peut faire vingt pas à pied : mais s’il perd un rendez-vous avec sa maitresse, il en est bien dédommagé par les passans ; chacun remarque sa livrée, l’admire & dit tout haut que c’est Monsieur un tel.