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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/27

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lequel je me suis quelquefois amusée à persifler plus d’un jeune fat. Tu en as été tout-à-fait la dupe & m’as crue prête à chercher un successeur à l’homme du monde auquel il étoit le moins aisé d’en trouver. Mais je suis trop franche pour pouvoir me contrefaire long-tems & tu t’es bientôt rassurée. Cependant, je veux te rassurer encore mieux en t’expliquant mes vrais sentimens sur ce point.

Je te l’ai dit cent fois étant fille ; je n’étois point faite pour être femme. S’il eût dépendu de moi, je ne me serois point mariée. Mais dans notre sexe, on n’achete la liberté que par l’esclavage & il faut commencer par être servante pour devenir sa maîtresse un jour. Quoique mon pere ne me gênât pas, j’avois des chagrins dans ma famille. Pour m’en délivrer, j’épousai donc M. d’Orbe. Il étoit si honnête homme & m’aimoit si tendrement, que je l’aimai sincerement à mon tour. L’expérience me donna du mariage une idée plus avantageuse que celle que j’en avois conçue & détruisit les impressions que m’en avoit laissées la Chaillot. M. d’Orbe me rendit heureuse & ne s’en repentit pas. Avec un autre j’aurois toujours rempli mes devoirs, mais je l’aurois désolé & je sens qu’il faloit un aussi bon mari pour faire de moi une bonne femme. Imaginerois-tu que c’est de cela même que j’avois à me plaindre ? Mon enfant, nous nous aimions trop, nous n’étions point gais. Une amitié plus légere eût été plus folâtre ; je l’aurois préférée & je crois que j’aurois mieux aimé vivre moins contente & pouvoir rire plus souvent.

À cela se joignirent les sujets particuliers d’inquiétude que