Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/279

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ce n’est pas pour qu’on y grave des noms de rois, des dates, des termes de blason, de sphere, de géographie & tous ces mots sans aucun sens pour leur âge & sans aucune utilité pour quelque âge que ce soit, dont on accable leur triste & stérile enfance ; mais c’est pour que toutes les idées relatives à l’état de l’homme, toutes celles qui se rapportent à son bonheur & l’éclairent sur ses devoirs, s’y tracent de bonne heure en caracteres ineffaçables & lui servent à se conduire, pendant sa vie, d’une maniere convenable à son être & à ses facultés.

Sans étudier dans les livres, la mémoire d’un enfant ne reste pas pour cela oisive : tout ce qu’il voit, tout ce qu’il entend le frappe & il s’en souvient ; il tient registre en lui-même des actions, des discours des hommes ; & tout ce qui l’environne est le livre dans lequel, sans y songer, il enrichit continuellement sa mémoire, en attendant que son jugement puisse en profiter. C’est dans le choix de ces objets, c’est dans le soin de lui présenter sans cesse ceux qu’il doit connoître & de lui cacher ceux qu’il doit ignorer, que consiste le véritable art de cultiver la premiere de ses facultés ; & c’est par là qu’il faut tâcher de lui former un magasin de connoissances qui serve à son éducation durant la jeunesse & à sa conduite dans tous les temps. Cette méthode, il est vrai, ne forme point de petits prodiges & ne fait pas briller les gouvernantes & les précepteurs ; mais elle forme des hommes judicieux, robustes, sains de corps & d’entendement, qui, sans s’être fait admirer étant jeunes, se font honorer étant grands.