Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/308

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où pour le coup le maître & moi fûmes admis. Les hommes tirerent au blanc une mise donnée par Mde. d’Orbe. Le nouveau venu l’emporta, quoique moins exercé que les autres. Claire ne fut pas la dupe de son adresse ; Hanz lui-même ne s’y trompa pas & refusa d’accepter le prix ; mais tous ses camarades l’y forcerent & vous pouvez juger que cette honnêteté de leur part ne fut pas perdue.

Le soir, toute la maison, augmentée de trois personnes, se rassembla pour danser. Claire sembloit parée par la main des Grâces ; elle n’avoit jamais été si brillante que ce jour-là. Elle dansait, elle causait, elle riait, elle donnoit ses ordres ; elle suffisoit à tout. Elle avoit juré de m’excéder de fatigue ; & après cinq ou six contredanses très vives tout d’une haleine, elle n’oublia pas le reproche ordinaire que je dansois comme un philosophe. Je lui dis, moi, qu’elle dansoit comme un lutin, qu’elle ne faisoit pas moins de ravage & que j’avois peur qu’elle ne me laissât reposer ni jour ni nuit. Au contraire, dit-elle, voici de quoi vous faire dormir tout d’une piece ; & à l’instant elle me reprit pour danser.

Elle étoit infatigable ; mais il n’en étoit pas ainsi de Julie ; elle avoit peine à se tenir, les genoux lui trembloient en dansant ; elle étoit trop touchée pour pouvoir être gaie. Souvent on voyoit des larmes de joie couler de ses yeux ; elle contemploit sa cousine avec une sorte de ravissement ; elle aimoit à se croire l’étrangere à qui l’on donnoit la fête & à regarder Claire comme la maîtresse de la maison qui l’ordonnait. Après le souper je tirai des fusées que j’avois