Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/314

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grâces sont sur leur trône, que la simplicité les pare, que la gaieté les anime & qu’il faut les adorer malgré soi. Pardon, milord, je reviens à nous.

Depuis un mois les chaleurs de l’automne apprêtoient d’heureuses vendanges ; les premieres gelées en ont amené l’ouverture [1] ; le pampre grillé, laissant la grappe à découvert, étale aux yeux les dons du pere Lyée & semble inviter les mortels à s’en emparer. Toutes les vignes chargées de ce fruit bienfaisant que le Ciel offre aux infortunés pour leur faire oublier leur misere ; le bruit des tonneaux, des cuves, les légrefass [2] qu’on relie de toutes parts ; le chant des vendangeuses dont ces coteaux retentissent ; la marche continuelle de ceux qui portent la vendange au pressoir ; le rauque son des instrumens rustiques qui les anime au travail ; l’aimable & touchant tableau d’une allégresse générale qui semble en ce moment étendu sur la face de la terre ; enfin le voile de brouillard que le soleil éleve au matin comme une toile de théâtre pour découvrir à l’œil un si charmant spectacle : tout conspire à lui donner un air de fête ; & cette fête n’en devient que plus belle à la réflexion, quand on songe qu’elle est la seule où les hommes aient sçu joindre l’agréable à l’utile.

M. de Wolmar, dont ici le meilleur terrain consiste en vignobles, a fait d’avance tous les préparatifs nécessaires. Les cuves, le pressoir, le cellier, les futailles, n’attendoient que

  1. On vendange fort tard dans le pays de Vaud ; parce que la principale récolte est en vins blancs & que la gelée leur est salutaire.
  2. Sorte de soudre ou de grand tonneau du pays.