Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/313

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J’avoue que la misere qui couvre les champs en certains pays où le publicain dévore les fruits de la terre, l’âpre avidité d’un fermier avare, l’inflexible rigueur d’un maître inhumain ôtent beaucoup d’attrait à ces tableaux. Des chevaux étiques prês d’expirer sous les coups, de malheureux paysans exténués de jeûnes, excédés de fatigue & couverts de haillons, des hameaux de masures offrent un triste spectacle à la vue ; on a presque regret d’être homme quand on songe aux malheureux dont il faut manger le sang. Mais quel charme de voir de bons & sages régisseurs faire de la culture de leurs terres l’instrument de leurs bienfaits, leurs amusemens, leurs plaisirs ; verser à pleines mains les dons de la Providence ; engraisser tout ce qui les entoure, hommes & bestiaux, des biens dont regorgent leurs granges, leurs caves, leurs greniers ; accumuler l’abondance & la joie autour d’eux & faire du travail qui les enrichit une fête continuelle ! Comment se dérober à la douce illusion que ces objets font naître ? On oublie son siecle & ses contemporains ; on se transporte au tems des Patriarches ; on veut mettre soi-même la main à l’œuvre, partager les travaux rustiques & le bonheur qu’on y voit attaché. Ô tems de l’amour & de l’innocence, où les femmes étoient tendres & modestes, où les hommes étoient simples & vivoient contens ! Ô Rachel ! fille charmante & si constamment aimée, heureux celui qui pour t’obtenir ne regretta pas quatorze ans d’esclavage ! Ô douce éleve de Noémi ! heureux le bon vieillard dont tu réchauffois les pieds & le cœur ! Non, jamais la beauté ne regne avec plus d’empire qu’au milieu des soins champêtres. C’est là que les