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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/332

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fût couvert d’un voile. Je fais un cri, je m’élance pour écarter le voile, je ne pus l’atteindre ; j’étendois les bras, je me tourmentois & ne touchois rien. Ami, calme-toi, me dit-elle d’une voix foible : le voile redoutable me couvre ; nulle main ne peut l’écarter. À ce mot je m’agite & fais un nouvel effort : cet effort me réveille ; je me trouve dans mon lit, accablé de fatigue & trempé de sueur & de larmes.

Bientôt ma frayeur se dissipe, l’épuisement me rendort ; le même songe me rend les mêmes agitations ; je m’éveille & me rendors une troisieme fois. Toujours ce spectacle lugubre, toujours ce même appareil de mort, toujours ce voile impénétrable échappe à mes mains & dérobe à mes yeux l’objet expirant qu’il couvre.

À ce dernier réveil ma terreur fut si forte que je ne la pus vaincre étant éveillé. Je me jette à bas de mon lit sans savoir ce que je faisais. Je me mets à errer par la chambre, effrayé comme un enfant des ombres de la nuit, croyant me voir environné de fantômes & l’oreille encore frappée de cette voix plaintive dont je n’entendis jamais le son sans émotion. Le crépuscule, en commençant d’éclairer les objets, ne fit que les transformer au gré de mon imagination troublée. Mon effroi redouble & m’ôte le jugement ; après avoir trouvé ma porte avec peine, je m’enfuis de ma chambre, j’entre brusquement dans celle d’Edouard : j’ouvre son rideau & me laisse tomber sur son lit en m’écriant hors d’haleine : C’en est fait, je ne la verrai plus ! Il s’éveille en sursaut, il saute à ses armes, se