Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/350

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tous mes scrupules ne venoient que de fausse délicatesse & que, si j’étois moins vaine & plus équitable, je trouverois ladi Bomston plus digne de son rang.

Mais laissons un peu ladi Bomston & revenons à nous. Ne sens-tu point trop, en lisant cette lettre, que nos amis reviendront plustôt qu’ils n’étoient attendus & le cœur ne te dit-il rien ? Ne bat-il point à présent plus fort qu’à l’ordinaire, ce cœur trop tendre & trop semblable au mien ? Ne songe-t-il point au danger de vivre familierement avec un objet chéri, de le voir tous les jours, de loger sous le même toit ? & si mes erreurs ne m’ôterent point ton estime, mon exemple ne te fait-il rien craindre pour toi ? Combien dans nos jeunes ans la raison, l’amitié, l’honneur, t’inspirerent pour moi de craintes que l’aveugle amour me fit mépriser ! C’est mon tour maintenant, ma douce amie ; & j’ai de plus, pour me faire écouter, la triste autorité de l’expérience. Ecoute-moi donc tandis qu’il est temps, de peur qu’apres avoir passé la moitié de ta vie à déplorer mes fautes, tu ne passes l’autre à déplorer les tiennes. sur-tout ne te fie plus à cette gaieté folâtre qui garde celles qui n’ont rien à craindre & perd celles qui sont en danger. Claire ! Claire ! tu te moquois de l’amour une fois, mais c’est parce que tu ne le connaissois pas ; & pour n’en avoir pas senti les traits, tu te croyois au-dessus de ses atteintes. Il se venge & rit à son tour. Apprends à te défier de sa traîtresse joie, ou crains qu’elle ne te coûte un jour bien des pleurs. chére amie, il est tems de te montrer à toi-même ; car jusqu’ici tu ne t’es pas bien vue : tu