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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/382

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Il n’eut pas vu trois fois la marquise, que nous fûmes d’accord sur son compte. Malheureusement pour elle, elle voulut le gagner & ne fit que lui montrer ses artifices. L’infortunée ! que de grandes qualités sans vertu ! que d’amour sans honneur ! Cet amour ardent, & vrai me touchait, m’attachait, nourrissoit le mien ; mais il prit la teinte de son ame noire & finit par me faire horreur. Il ne fut plus question d’elle.

Quand il eut vu Laure, qu’il connut son cœur, sa beauté, son esprit & cet attachement sans exemple, trop fait pour me rendre heureux, je résolus de me servir d’elle pour bien éclaircir l’état de Saint-Preux. Si j’épouse Laure, lui dis-je, mon dessein n’est pas de la mener à Londres, où quelqu’un pourroit la reconnoître, mais dans des lieux où l’on sait honorer la vertu partout où elle est ; vous remplirez votre emploi & nous ne cesserons point de vivre ensemble. Si je ne l’épouse pas, il est tems de me recueillir. Vous connaissez ma maison d’Oxfordshire & vous choisirez d’élever les enfans d’un de vos amis, ou d’accompagner l’autre dans sa solitude. Il me fit la réponse à laquelle je pouvois m’attendre ; mais je voulois l’observer par sa conduite. Car si, pour vivre à Clarens, il favorisoit un mariage qu’il eût dû blâmer, ou, si dans cette occasion délicate, il préféroit à son bonheur la gloire de son ami, dans l’un, & dans l’autre cas l’épreuve étoit faite & son cœur étoit jugé.

Je le trouvai d’abord tel que je le désirais, ferme contre le projet que je feignois d’avoir & armé de toutes les