Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/384

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D’autres observations augmenterent ma défiance ; je sçus qu’il voyoit Laure en secret ; je remarquois entre eux des signes d’intelligence. L’espoir de s’unir à celui qu’elle avoit tant aimé ne la rendoit point gaie. Je lisois bien la même tendresse dans ses regards, mais cette tendresse n’étoit plus mêlée de joie à mon abord, la tristesse y dominoit toujours. Souvent, dans les plus doux épanchemens de son cœur, je la voyois jetter sur le jeune homme un coup d’œil à la dérobée & ce coup d’œil étoit suivi de quelques larmes qu’on cherchoit à me cacher. Enfin le mystere fut poussé au point que j’en fus alarmé. Jugez de ma surprise. Que pouvais-je penser ? N’avais-je réchauffé qu’un serpent dans mon sein ? Jusqu’où n’osais-je point porter mes soupçons & lui rendre son ancienne injustice ! Faibles & malheureux que nous sommes ! c’est nous qui faisons nos propres maux. Pourquoi nous plaindre que les méchans nous tourmentent, si les bons se tourmentent encore entre eux ?

Tout cela ne fit qu’achever de me déterminer. Quoique j’ignorasse le fond de cette intrigue, je voyois que le cœur de Laure étoit toujours le même ; & cette épreuve ne me la rendoit que plus chére. Je me proposois d’avoir une explication avec elle avant la conclusion ; mais je voulois attendre jusqu’au dernier moment, pour prendre auparavant par moi-même tous les éclaircissemens possibles. Pour lui, j’étois résolu de me convaincre, de le convaincre, enfin d’aller jusqu’au bout avant que de lui rien dire ni de prendre un parti par rapport à lui, prévoyant une rupture infaillible, & ne voulant