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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/412

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Je connais toute votre délicatesse ; & si vous avez des objections à m’opposer, je sais qu’elles seront pour elle bien plus que pour vous. Laissez ces vains scrupules. Serez-vous plus jaloux que moi de l’honneur de mon amie ? Non, quelque cher que vous me puissiez être, ne craignez point que je préfere votre intérêt à sa gloire. Mais autant je mets de prix à l’estime des gens sensés, autant je méprise les jugemens téméraires de la multitude, qui se laisse éblouir par un faux éclat & ne voit rien de ce qui est honnête. La différence fût-elle cent fois plus grande, il n’est point de rang auquel les talens & les mœurs n’aient droit d’atteindre & à quel titre une femme oseroit-elle dédaigner pour époux celui qu’elle s’honore d’avoir pour ami ? Vous savez quels sont là-dessus nos principes à toutes deux. La fausse honte & la crainte du blâme inspirent plus de mauvaises actions que de bonnes & la vertu ne sait rougir que de ce qui est mal.

À votre égard, la fierté que je vous ai quelquefois connue ne sauroit être plus déplacée que dans cette occasion ; & ce seroit à vous une ingratitude de craindre d’elle un bienfoit de plus. & puis, quelque difficile que vous puissiez être, convenez qu’il est plus doux & mieux séant de devoir sa fortune à son épouse qu’à son ami ; car on devient le protecteur de l’une, & le protégé de l’autre ; & quoi que l’on puisse dire, un honnête homme n’aura jamais de meilleur ami que sa femme.

Que s’il reste au fond de votre ame quelque répugnance à former de nouveaux engagements, vous ne pouvez trop vous hâter de la détruire pour votre honneur & pour mon repos ;