Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/419

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tendre reconnaissance, je vous aime autant que jamais, il est vrai ; mais ce qui m’attache le plus à vous est le retour de ma raison. Elle vous montre à moi telle que vous êtes ; elle vous sert mieux que l’amour même. Non, si j’étois resté coupable, vous ne me seriez pas aussi chere.

Depuis que j’ai cessé de prendre le change & que le pénétrant Wolmar m’a éclairé sur mes vrais sentimens, j’ai mieux appris à me connaître & je m’alarme moins de ma foiblesse. Qu’elle abuse mon imagination, que cette erreur me soit douce encore, il suffit, pour mon repos, qu’elle ne puisse plus vous offenser & la chimere qui m’égare à sa poursuite me sauve d’un danger réel.

Ô Julie ! il est des impressions éternelles que le tems ni les soins n’effacent point. La blessure guérit, mais la marque reste ; & cette marque est un sceau respecté qui préserve le cœur d’une autre atteinte. L’inconstance, & l’amour sont incompatibles : l’amant qui change, ne change pas ; il commence ou finit d’aimer. Pour moi, j’ai fini ; mais, en cessant d’être à vous, je suis resté sous votre garde. Je ne vous crains plus ; mais vous m’empêchez d’en craindre une autre. Non, Julie, non, femme respectable, vous ne verrez jamais en moi que l’ami de votre personne & l’amant de vos vertus ; mais nos amours, nos premieres & uniques amours, ne sortiront jamais de mon cœur. La fleur de mes ans ne se flétrira point dans ma mémoire. Dussé-je vivre des siecles entiers, le doux tems de ma jeunesse ne peut ni renoître pour moi, ni s’effacer de mon souvenir. Nous avons beau n’être plus les