Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/483

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pas nous quitter si vîte. Il fut charmé de rester & je sortis là-dessus.

En rentrant, je vis que la conversation avoit continué sur le même sujet, mais d’un autre ton & comme sur une matiere indifférente. Le Pasteur parloit de l’esprit faux qu’on donnoit au Christianisme en n’en faisant que la Religion des mourans & de ses Ministres des hommes de mauvais augure. On nous regarde, disoit-il, comme des messagers de mort, parce que, dans l’opinion commode qu’un quart-d’heure de repentir suffit pour effacer cinquante ans de crimes, on n’aime à nous voir que dans ce tems-là. Il faut nous vêtir d’une couleur lugubre ; il faut affecter un air sévere ; on n’épargne rien pour nous rendre effrayans. Dans les autres cultes, c’est pis encore. Un Catholique mourant n’est environné que d’objets qui l’épouvantent & de cérémonies qui l’enterrent tout vivant. Au soin qu’on prend d’écarter de lui les Démons, il croit en voir sa chambre pleine ; il meurt cent fois de terreur avant qu’on l’acheve & c’est dans cet état d’effroi que l’Eglise aime à le plonger pour avoir meilleur marché de sa bourse. Rendons grâces au Ciel, dit Julie, de n’être point nés dans ces Religions vénales qui tuent les gens pour en hériter & qui, vendant le paradis aux riches, portent jusqu’en l’autre monde l’injuste inégalité qui regne dans celui-ci. Je ne doute point que toutes ces sombres idées ne fomentent l’incrédulité & ne donnent une aversion naturelle pour le culte qui les nourrit. J’espere, dit-elle en me regardant, que celui qui doit élever nos enfans prendra des maximes tout opposées & qu’il ne leur rendra point la Religion lugubre & triste, en