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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/487

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cher Saint-Preux, est celle que vous trouverez ci-jointe. J’ai beau savoir que celle qui l’a écrite est morte, j’ai peine à croire qu’elle n’est plus rien.

Elle me parla ensuite de son pere avec inquiétude. Quoi ! dit-elle, il sait sa fille en danger & je n’entends point parler de lui ! Lui serait-il arrivé quelque malheur ? Aurait-il cessé de m’aimer ? Quoi ! mon pere !… ce pere si tendre… m’abandonner ainsi !… me laisser mourir sans le voir… sans recevoir sa bénédiction… ses derniers embrassemens !… Ô Dieu ! quels reproches amers il se fera quand il ne me trouvera plus !… Cette réflexion lui étoit douloureuse. Je jugeai qu’elle supporteroit plus aisément l’idée de son pere malade que celle de son pere indifférent. Je pris le parti de lui avouer la vérité. En effet, l’alarme qu’elle en conçut se trouva moins cruelle que ses premiers soupçons. Cependant la pensée de ne plus le revoir l’affecta vivement. Hélas ! dit-elle, que deviendra-t-il après moi ? à quoi tiendra-t-il ? Survivre à toute sa famille !… quelle vie sera la sienne ? Il sera seul, il ne vivra plus. Ce moment fut un de ceux où l’horreur de la mort se faisoit sentir & où la nature reprenoit son empire. Elle soupira, joignit les mains, leva les yeux ; & je vis qu’en effet elle employoit cette difficile priere qu’elle avoit dit être celle du malade.

Elle revint à moi. Je me sens foible, dit-elle ; je prévois que cet entretien pourroit être le dernier que nous aurons ensemble. Au nom de notre union, au nom de nos chers enfans qui en sont le gage, ne soyez plus injuste envers