Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/497

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

s’assure. Je fus heureuse, je le suis, je vais l’être : mon bonheur est fixé, je l’arrache à la fortune ; il n’a plus de bornes que l’éternité.

Elle en étoit là quand le ministre entra. Il l’honoroit & l’estimoit véritablement. Il savoit mieux que personne combien sa foi étoit vive & sincere. Il n’en avoit été que plus frappé de l’entretien de la veille & en tout de la contenance qu’il lui avoit trouvée. Il avoit vu souvent mourir avec ostentation, jamais avec sérénité. Peut-être à l’intérêt qu’il prenoit à elle se joignait-il un désir secret de voir si ce calme se soutiendroit jusqu’au bout.

Elle n’eut pas besoin de changer beaucoup le sujet de l’entretien pour en amener un convenable au caractere du survenant. Comme ses conversations en pleine santé n’étoient jamais frivoles, elle ne faisoit alors que continuer à traiter dans son lit avec la même tranquillité des sujets intéressans pour elle & pour ses amis ; elle agitoit indifféremment des questions qui n’étoient pas indifférentes.

En suivant le fil de ses idées sur ce qui pouvoit rester d’elle avec nous, elle nous parloit de ses anciennes réflexions sur l’état des âmes séparées des corps. Elle admiroit la simplicité des gens qui promettoient à leurs amis de venir leur donner des nouvelles de l’autre monde. Cela, disait-elle, est aussi raisonnable que les contes de revenans qui font mille désordres & tourmentent les bonnes femmes ; comme si les esprits avoient des voix pour parler & des mains pour battre [1] !

  1. Platon dis qu’à la mort les ames des justes qui n’ont point contracté de souillure sur la terre, se dégagent seules de la matiere dans