Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/500

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Cela peut être, reprit Julie : il y a si loin de la bassesse de nos pensées à l’essence divine, que nous ne pouvons juger des effets qu’elle produira sur nous quand nous serons en état de la contempler. Toutefois, ne pouvant maintenant raisonner que sur mes idées, j’avoue que je me sens des affections si cheres, qu’il m’en coûteroit de penser que je ne les aurai plus. Je me suis même fait une espece d’argument qui flatte mon espoir. Je me dis qu’une partie de mon bonheur consistera dans le témoignage d’une bonne conscience. Je me souviendrai donc de ce que j’aurai fait sur la terre ; je me souviendrai donc aussi des gens qui m’y ont été chers ; ils me le seront donc encore : ne les voir [1] plus seroit une peine & le séjour des bienheureux n’en admet point. Au reste, ajouta-t-elle en regardant le ministre d’un air assez gai, si je me trompe, un jour ou deux d’erreur seront bientôt passés : dans peu j’en saurai là-dessus plus que vous-même. En attendant, ce qu’il y a pour moi de tres sûr, c’est que tant que je me souviendrai d’avoir habité la terre, j’aimerai ceux que j’y ai aimés & mon pasteur n’aura pas la derniere place.

Ainsi se passerent les entretiens de cette journée, où la sécurité, l’espérance, le repos de l’ame, brillerent plus que jamais dans celle de Julie & lui donnoient d’avance, au

  1. Il est aisé de comprendre que par ce mot voir, elle entend un pur acte de l’entendement, semblable à celui par lequel Dieu nous voit & par lequel nous verrons Dieu. Les sens ne peuvent imaginer l’immédiate communication des esprits : mais la raison la concoit tres-bien & mieux, ce me semble, que la communication du mouvement dans les corps.