Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/536

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dans un Couvent & d’abandonner sa maison presque au pillage ; car elle vivoit dans une opulence commune à ses pareilles, sur-tout en Italie, quand l’âge & la figure les font valoir. Elle n’avoit rien dit à Bomston de son projet, trouvant une sorte de bassesse à en parler avant l’exécution. Quand elle fut dans son asyle, elle le lui marqua par un billet, le priant de la protéger contre les gens puissans qui s’intéressoient à son désordre & que sa retraite alloit offenser. Il courut chez elle assez tôt pour sauver ses effets. Quoique étranger dans Rome, un grand seigneur considéré, riche, & plaidant avec force la cause de l’honnêteté, y trouva bientôt assez de crédit pour la maintenir dans son Couvent & même l’y faire jouir d’une pension que lui avoit laissée le Cardinal, auquel ses parens l’avoient vendue.

Il fut la voir. Elle étoit belle ; elle aimoit ; elle étoit pénitente ; elle lui devoit tout ce qu’elle alloit être. Que de titres pour toucher un cœur comme le sien ! Il vint plein de tous les sentimens qui peuvent porter au bien les cœurs sensibles ; il n’y manquoit que celui qui pouvoit la rendre heureuse & qui ne dépendoit pas de lui. Jamais elle n’en avoit tant espéré ; elle étoit transportée ; elle se sentoit déjà dans l’état auquel on remonte si rarement. Elle disoit ; je suis honnête ; un homme vertueux s’intéresse à moi : Amour, je ne regrette plus les pleurs, les soupirs que tu me coûtes ; tu m’as déjà payé de tout. Tu fis ma force & tu fais ma récompense ; en me faisant aimer mes devoirs, tu deviens le premier de tous. Quel bonheur n’étoit réservé qu’à moi seule. C’est l’amour qui m’éleve & m’honore ; c’est lui qui m’arrache au crime,