Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/538

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de la Marquise ; mais malgré la différence de leurs principes, ils ne purent jamais se détacher parfaitement l’un de l’autre. On peut juger du désespoir de cette femme emportée quand elle crut s’être donné une rivale & quelle rivale ! par son imprudente générosité. Les reproches, les dédains, les outrages, les menaces, les tendres caresses, tout fut employé tour-à-tour pour détacher Edouard de cet indigne commerce, où jamais elle ne put croire que son cœur n’eût point de part. Il demeure ferme ; il l’avoit promis. Laure avoit borné son espérance & son bonheur à le voir quelquefois. Sa vertu naissante avoit besoin d’appui, elle tenoit à celui qui l’avoit fait naître ; c’étoit à lui de la soutenir. Voilà ce qu’il disoit à la Marquise, à lui-même ; & peut-être ne se disoit-il pas tout. Où est l’homme assez sévere pour fuir les regards d’un objet charmant, qui ne lui demande que de se laisser aimer ? où est celui dont les larmes de deux beaux yeux n’enflent pas un peu le cœur honnête ? où est l’homme bienfaisant dont l’utile amour-propre n’aime pas à jouir du fruit de ses soins ? Il avoit rendu Laure trop estimable pour ne faire que l’estimer.

La Marquise, n’ayant pu obtenir qu’il cessât de voir cette infortunée, devint furieuse ; sans avoir le courage de rompre avec lui, elle le prit dans une espece d’horreur. Elle frémissoit en voyant entrer son carrosse, le bruit de ses pas en montant l’escalier la faisoit palpiter d’effroi. Elle étoit prête à se trouver mal à sa vue. Elle avoit le cœur serré tant qu’il restoit auprès d’elle ; quand il partoit elle l’accabloit d’imprécations ; sitôt qu’elle ne le voyoit plus elle pleuroit