Aller au contenu

Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/539

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de rage ; elle ne parloit que de vengeance : son dépit sanguinaire ne lui dictoit que des projets dignes d’elle. Elle fit plusieurs fois attaquer Edouard sortant du Couvent de Laure. Elle lui tendit des piéges à elle-même pour l’en faire sortir & l’enlever. Tout cela ne put le guérir. Il retournoit le lendemain chez elle qui l’avoit voulu faire assassiner la veille, & toujours avec son chimérique projet de la rendre à la raison, il exposoit la sienne & nourrissoit sa foiblesse du zele de sa vertu.

Au bout de quelques mois, le Marquis, mal guéri de sa blessure, mourut en Allemagne, peut-être de douleur de la mauvaise conduite de sa femme. Cet événement qui devoit rapprocher Edouard de la Marquise, ne servit qu’à l’en éloigner encore plus. Il lui trouva tant d’empressement à mettre à profit sa liberté recouvrée, qu’il frémit de s’en prévaloir. Le seul doute si la blessure du Marquis n’avoit point contribué à sa mort effraya son cœur & fit taire ses desirs. Il se disoit : les droits d’un époux meurent avec lui pour tout autre, mais pour son meurtrier ils lui survivent & deviennent inviolables. Quand l’humanité, la vertu, les loix ne prescriroient rien sur ce point, la raison seule ne nous dit-elle pas que les plaisirs attachés à la reproduction des hommes ne doivent point être le prix de leur sang ; sans quoi les moyens destinés à nous donner la vie seroient des sources de mort & le genre humain périroit par les soins qui doivent le conserver !

Il passa plusieurs années ainsi partagé entre deux maîtresses ; flottant sans cesse de l’une à l’autre : souvent voulant renoncer à toutes deux & n’en pouvant quitter aucune, repoussé par