Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/106

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moins de plaisirs. Toujours plus de souffrances que de jouissances ; voilà la différence commune à tous. La félicité de l’homme ici-bas n’est donc qu’un état négatif, on doit la mesurer par la moindre quantité des maux qu’il souffre.

Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s’en délivrer ; toute idée de plaisir est inséparable du desir d’en jouir : tout desir suppose privation, & toutes les privations qu’on sent sont pénibles ; c’est donc dans la disproportion de nos desirs et de nos facultés que consiste notre misere. Un être sensible dont les facultés égaleraient les desirs seroit un être absolument heureux.

En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n’est pas précisément à diminuer nos désirs ; car, s’ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resteroit oisive, & nous ne jouirions pas de tout notre être. Ce n’est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s’étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n’en deviendrions que plus misérables : mais c’est à diminuer l’excès des désirs sur les facultés, & à mettre en égalité parfaite la puissance & la volonté. C’est alors seulement que, toutes les forces étant en action, l’âme cependant restera paisible, & que l’homme se trouvera bien ordonné.

C’est ainsi que la nature, qui fait tout pour le mieux, l’a d’abord institué. Elle ne lui donne immédiatement que les desirs nécessaires à sa conservation & les facultés suffisantes pour les satisfaire. Elle a mis toutes les autres comme en réserve au fond de son ame, pour s’y développer au