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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/120

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quelles je le laisse exposé. Je vois de petits polissons jouer sur la neige, violets, transis, & pouvant à peine remuer les doigts. Il ne tient qu’à eux de s’aller chauffer, ils n’en font rien ; si on les y forçoit, ils sentiroient cent fois plus les rigueurs de la contrainte, qu’ils ne sentent celles du froid. De quoi donc vous plaignez-vous ? Rendrai-je votre enfant misérable en ne l’exposant qu’aux incommodités qu’il veut bien souffrir ? Je fais son bien dans le moment présent en le laissant libre, je fais son bien dans l’avenir en l’armant contre les maux qu’il doit supporter. S’il avoit le choix d’être mon Éleve ou le vôtre, pensez-vous qu’il balançât un instant ?

Concevez-vous quelque vrai bonheur possible pour aucun être hors de sa constitution ? & n’est-ce pas sortir l’homme de sa constitution, que de vouloir l’exempter également de tous les maux de son espece ? Oui, je le soutiens : pour sentir les grands biens, il faut qu’il connoisse les petits maux ; telle est sa nature. Si le physique va trop bien, le moral se corrompt. L’homme qui ne connoîtroit pas la douleur, ne connoîtroit ni l’attendrissement de l’humanité, ni la douceur de la commisération ; son cœur ne seroit ému de rien, il ne seroit pas sociable, il seroit un monstre parmi ses semblables.

Savez-vous quel est le plus sûr moyen de rendre votre enfant misérable ? c’est de l’accoutumer à tout obtenir ; car ses desirs croissant incessamment par la facilité de les satisfaire, tôt ou tard l’impuissance vous forcera malgré vous d’en venir au refus, & ce refus inaccoutumé lui donnera plus