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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/121

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de tourment que la privation même de ce qu’il desire. D’abord il voudra la canne que vous tenez ; bientôt il voudra votre montre ; ensuite il voudra l’oiseau qui vole ; il voudra l’étoile qu’il voit briller ; il voudra tout ce qu’il verra : à moins d’être Dieu comment le contenterez-vous ?

C’est une disposition naturelle à l’homme de regarder comme sien tout ce qui est en son pouvoir. En ce sens le principe de Hobbes est vrai jusqu’à certain point ; multipliez avec nos desirs les moyens de les satisfaire, chacun se fera le maître de tout. L’enfant donc qui n’a qu’à vouloir pour obtenir, se croit le propriétaire de l’Univers ; il regarde tous les hommes comme ses esclaves : & quand enfin l’on est forcé de lui refuser quelque chose ; lui, croyant tout possible quand il commande, prend ce refus pour un acte de rebellion ; toutes les raisons qu’on lui donne dans un âge incapable de raisonnement, ne sont à son gré que des prétextes ; il voit par-tout de la mauvaise volonté : le sentiment d’une injustice prétendue aigrissant son naturel, il prend tout le monde en haine, & sans jamais savoir gré de la complaisance, il s’indigne de toute opposition.

Comment concevrois-je qu’un enfant, ainsi dominé par la colere, & dévoré des passions les plus irascibles, puisse jamais être heureux ? Heureux, lui ! c’est un Despote ; c’est à la fois le plus vil des esclaves & la plus misérable des créatures. J’ai vu des enfans élevés de cette maniere, qui vouloient qu’on renversât la maison d’un coup d’épaule ; qu’on leur donnât le coq qu’ils voyoient sur un clocher ; qu’on arrêtât un Régiment en marche pour entendre les tambours