Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/125

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idées qu’on ne saura point ou qu’on ne pourra plus détruire. La première fausse idée qui entre dans sa tête est en lui le germe de l’erreur & du vice ; c’est à ce premier pas qu’il faut surtout faire attention. Faites que tant qu’il n’est frappé que des choses sensibles, toutes ses idées s’arrêtent aux sensations ; faites que de toutes parts il n’aperçoive autour de lui que le monde physique : sans quoi soyez sûr qu’il ne vous écoutera point du tout, ou qu’il se fera du monde moral, dont vous lui parlez, des notions fantastiques que vous n’effacerez de la vie.

Raisonner avec les enfans étoit la grande maxime de Locke ; c’est la plus en vogue aujourd’hui ; son succès ne me paraît pourtant pas fort propre à la mettre en crédit ; & pour moi je ne vois rien de plus sot que ces enfans avec qui l’on a tant raisonné. De toutes les facultés de l’homme, la raison, qui n’est, pour ainsi dire, qu’un composé de toutes les autres, est celle qui se développe le plus difficilement et le plus tard ; & c’est de celle-là qu’on veut se servir pour développer les premières ! Le chef-d’œuvre d’une bonne éducation est de faire un homme raisonnable : & l’on prétend élever un enfant par la raison ! C’est commencer par la fin, c’est vouloir faire l’instrument de l’ouvrage. Si les enfans entendaient raison, ils n’auraient pas besoin d’être élevés ; mais en leur parlant dès leur bas âge une Langue qu’ils n’entendent point, on les accoutume à se payer de mots, à contrôler tout ce qu’on leur dit, à se croire aussi sages que leurs maîtres, à devenir disputeurs & mutins ; & tout ce qu’on pense obtenir d’eux par des motifs