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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/124

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craintif. Puisqu’avec l’âge de raison commence la servitude civile, pourquoi la prévenir par la servitude privée ? Souffrons qu’un moment de la vie soit exempt de ce joug que la nature ne nous a pas imposé, & laissons à l’enfance l’exercice de la liberté naturelle, qui l’éloigne, au moins pour un tems, des vices que l’on contracte dans l’esclavage. Que ces instituteurs séveres, que ces peres asservis à leurs enfans, viennent donc les uns & les autres avec leurs frivoles objections, & qu’avant de vanter leurs méthodes, ils apprennent une fois celle de la nature.

Je reviens à la pratique. J’ai déjà dit que votre enfant ne doit rien obtenir parce qu’il le demande, mais parce qu’il en a besoin [1], ni rien faire par obéissance, mais seulement par nécessité ; ainsi les mots d’obéir & de commander seront proscrits de son Dictionnaire, encore plus ceux de devoir & d’obligation ; mais ceux de force, de nécessité, d’impuissance & de contrainte y doivent tenir une grande place. Avant l’âge de raison l’on ne sauroit avoir aucune idée des êtres moraux ni des relations sociales ; il faut donc éviter autant qu’il se peut d’employer des mots qui les expriment, de peur que l’enfant n’attache d’abord à ces mots de fausses

  1. (5) On doit sentir que, comme la peine est souvent une nécessité, le plaisir est quelquefois un besoin. Il n’y a donc qu’un seul desir des enfans auquel on ne doive jamais complaire ; c’est celui de se faire obéir. D’où il suit, que dans tout ce qu’ils demandent, c’est sur-tout au motif qui les porte à le demander qu’il faut faire attention. Accordez leur, tant qu’il est possible, tout ce qui peut leur faire un plaisir réel : refusez-leur toujours ce qu’ils ne demandent que par fantaisie, ou pour faire un acte d’autorité.