Aller au contenu

Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

convaincus, quand on ne les a qu’ennuyés ou intimidés.

Qu’arrive-t-il de-là ? Premierement, qu’en leur imposant un devoir qu’ils ne sentent pas, vous les indisposez contre votre tyrannie, & les détournez de vous aimer ; que vous leur apprenez à devenir dissimulés, faux, menteurs, pour extorquer des récompenses ou se dérober aux châtimens ; qu’enfin, les accoutumant à couvrir toujours d’un motif apparent un motif secret, vous leur donnez vous-même le moyen de vous abuser sans cesse, de vous ôter la connoissance de leur vrai caractere, & de payer vous & les autres de vaines paroles dans l’occasion. Les loix, direz-vous, quoiqu’obligatoires pour la conscience, usent de même de contrainte avec les hommes faits : J’en conviens. Mais que sont ces hommes, sinon des enfans gâtés par l’éducation ? Voilà précisément ce qu’il faut prévenir. Employez la force avec les enfans & la raison avec les hommes : tel est l’ordre naturel ; le sage n’a pas besoin de loix.

Traitez votre Éleve selon son âge. Mettez-le d’abord à sa place, & tenez l’y si bien, qu’il ne tente plus d’en sortir. Alors, avant de savoir ce que c’est que sagesse, il en pratiquera la plus importante leçon. Ne lui commandez jamais rien, quoi que ce soit au monde, absolument rien. Ne lui laissez pas même imaginer que vous prétendiez avoir aucune autorité sur lui. Qu’il sache seulement qu’il est foible & que vous êtes fort, que par son état & le vôtre il est nécessairement à votre merci ; qu’il le sache, qu’il l’apprenne, qu’il le sente : qu’il sente de bonne heure sur sa tête altiere le dur joug que la nature impose à l’homme, le