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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/132

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sauroit vous offenser. Dépourvu de toute moralité dans ses actions, il ne peut rien faire qui soit moralement mal, & qui mérite ni châtiment ni réprimande.

Je vois déjà le lecteur effrayé juger de cet enfant par les nôtres : il se trompe. La gêne perpétuelle où vous tenez vos Éleves irrite leur vivacité ; plus ils sont contraints sous vos yeux, plus ils sont turbulens au moment qu’ils s’échappent ; il faut bien qu’ils se dédommagent, quand ils peuvent, de la dure contrainte où vous les tenez. Deux écoliers de la ville feront plus de dégât dans un pays que la jeunesse de tout un village. Enfermez un petit Monsieur & un petit paysan dans une chambre ; le premier aura tout renversé, tout brisé, avant que le second soit sorti de sa place. Pourquoi cela ? si ce n’est que l’un se hâte d’abuser d’un moment de licence, tandis que l’autre, toujours sûr de sa liberté, ne se presse jamais en user ? Et cependant les enfans des villageois, souvent flattés ou contrariés sont encore bien loin de l’état où je veux qu’on les tienne.

Posons pour maxime incontestable que les premiers mouvemens de la nature sont toujours droits : il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain. Il ne s’y trouve pas un seul vice dont on ne puisse dire comment & par où il y est entré. La seule passion naturelle à l’homme, est l’amour de soi-même, ou l’amour-propre pris dans un sens étendu. Cet amour-propre en soi ou relativement à nous est bon & utile, & comme il n’a point de rapport nécessaire à autrui, il est à cet égard naturellement indifférent ; il ne devient bon ou mauvais que par l’application