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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/131

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Il est bien étrange que depuis qu’on se mêle d’élever des enfans on n’ait imaginé d’autre instrument pour les conduire que l’émulation, la jalousie, l’envie, la vanité, l’avidité, la vile crainte, toutes les passions les plus dangereuses, les plus promptes à fermenter, & les plus propres à corrompre l’ame, même avant que le corps soit formé. À chaque instruction précoce qu’on veut faire entrer dans leur tête, on plante un vice au fond de leur cœur ; d’insensés instituteurs pensent faire des merveilles en les rendant méchans pour leur apprendre ce que c’est que bonté ; & puis ils nous disent gravement : tel est l’homme. Oui, tel est l’homme que vous avez fait.

On a essayé tous les instrumens, hors un : le seul précisément qui peut réussir ; la liberté bien réglée. Il ne faut point se mêler d’élever un enfant quand on ne sait pas le conduire où l’on veut par les seules loix du possible & de l’impossible. La sphère de l’un & de l’autre lui étant également inconnue, on l’étend, on la resserre autour de lui comme on veut. On l’enchaîne, on le pousse, on le retient avec le seul lien de la nécessité, sans qu’il en murmure : on le rend souple & docile par la seule force des choses, sans qu’aucun vice ait l’occasion de germer en lui : car jamais les passions ne s’animent, tant qu’elles sont de nul effet.

Ne donnez à votre Éleve aucune espece de leçon verbale, il n’en doit recevoir que de l’expérience ; ne lui infligez aucune espece de châtiment, car il ne sait ce que c’est qu’être en faute ; ne lui faites jamais demander pardon, car il ne