Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/158

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par discernement & par amour du bien. L’homme est imitateur, l’animal même l’est ; le goût de l’imitation est de la nature bien ordonnée ; mais il dégénère en vice dans la société. Le singe imité l’homme qu’il craint, & n’imite pas les animaux qu’il méprise ; il juge bon ce que fait un être meilleur que lui. Parmi nous, au contraire, nos arlequins de toute espece imitent le beau pour le dégrader, pour le rendre ridicule ; ils cherchent dans le sentiment de leur bassesse à s’égaler ce qui vaut mieux qu’eux ; ou, s’ils s’efforcent d’imiter ce qu’ils admirent, on voit dans le choix des objets le faux goût des imitateurs : ils veulent bien plus en imposer aux autres ou faire applaudir leur talent, que se rendre meilleurs ou plus sages. Le fondement de l’imitation parmi nous vient du désir de se transporter toujours hors de soi. Si je réussis dans mon entreprise, Emile n’aura sûrement pas ce désir. Il faut donc nous passer du bien apparent qu’il peut produire.

Approfondissez toutes les règles de votre éducation, vous les trouverez ainsi toutes à contre sens, surtout en ce qui concerne les vertus & les mœurs. La seule leçon de morale qui convienne à l’enfance, & la plus importante à tout âge, est de ne jamais faire de mal à personne. Le précepte même de faire du bien, s’il n’est subordonné à celui-là, est dangereux, faux, contradictoire. Qui est-ce qui ne fait pas du bien ? tout le monde en fait, le méchant comme les autres ; il fait un heureux aux dépens de cent misérables ; & de là viennent toutes nos calamités. Les plus sublimes vertus sont négatives : elles sont aussi les plus difficiles, parce qu’elles sont