Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/159

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sans ostentation, & au-dessus même de ce plaisir si doux au cœur de l’homme, d’en renvoyer un autre content de nous. Ô quel bien fait nécessairement à ses semblables celui d’entre eux, s’il en est un, qui ne leur fait jamais de mal ! De quelle intrépidité d’âme, de quelle vigueur de caractère il a besoin pour cela ! Ce n’est pas en raisonnant sur cette maxime, c’est en tâchant de la pratiquer, qu’on sent combien il est grand & pénible d’y réussir [1].

Voilà quelques foibles idées des précautions avec les quelles je voudrois qu’on donnât aux enfans les instructions qu’on ne peut quelquefois leur refuser sans les exposer à nuire à eux-mêmes ou aux autres, & surtout a contracter de mauvaises habitudes dont on auroit peine ensuite à les corriger : mais soyons sûrs que cette nécessite se présentera rarement pour les enfans élevés comme ils doivent l’être, parce qu’il est impossible qu’ils deviennent indociles, méchants, menteurs, avides, quand or n’aura pas semé dans leurs cœurs les vices qui les rendent tels. Ainsi ce que j’ai dit sur ce point sert plus aux

  1. Le précepte de ne jamais nuire à autrui emporte celui de tenir à la société humaine le moins qu’il est possible ; car, dans l’état social, le bien de l’un fait nécessairement le mal de l’autre. Ce rapport est dans l’essence de la chose, & rien ne sauroit le changer. Qu’on cherche sur ce principe lequel est le meilleur, de l’homme social ou du solitaire. Un auteur illustre dit qu’il n’y a que le méchant qui soit seul ; moi je dis qu’il n’y a que le bon qui soit seul. Si cette proposition est moins sentencieuse, elle est plus vraie et mieux raisonnée que la précédente. Si le méchant étoit seul, quel mal feroit-il ? C’est dans la société qu’il dresse ses machines pour nuire aux autres. Si l’on veut rétorquer cet argument pour l’homme de bien, je réponds par l’article auquel appartient cette note.