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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/160

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tions qu’aux regles ; mais ces exceptions sont plus fréquentes à mesure que les enfans ont plus d’occasions de sortir de leur état, & de contracter les vices des hommes. Il faut nécessairement à ceux qu’on éleve au milieu du monde, des instructions plus précoces qu’à ceux qu’on éleve dans la retraite. Cette éducation solitaire seroit donc préférable, quand elle ne feroit que donner à l’enfance le tems de meurir.

Il est un autre genre d’exceptions contraires pour ceux qu’un heureux naturel éleve au-dessus de leur âge. Comme il y a des hommes qui ne sortent jamais de l’enfance, il y en a d’autres qui, pour ainsi dire, n’y passent point, & sont hommes presque en naissant. Le mal est que cette derniere exception est très-rare, très-difficile à connoître, & que chaque mere, imaginant qu’un enfant peut être un prodige, ne doute point que le sien n’en soit un. Elles font plus, elles prennent pour des indices extraordinaires, ceux mêmes qui marquent l’ordre accoutumé : la vivacité, les saillies, l’étourderie, la piquante naïveté ; tous signes caractéristiques de l’âge, & qui montrent le mieux qu’un enfant n’est qu’un enfant. Est-il étonnant que celui qu’on fait beaucoup parler & à qui l’on permet de tout dire, qui n’est gêné par aucun égard, par aucune bienséance, fasse par hazard quelque heureuse rencontre ? Il le seroit bien plus qu’il n’en fît jamais, comme il le seroit qu’avec mille mensonges un Astrologue ne prédît jamais aucune vérité. Ils mentiront tant, disoit Henri IV, qu’à la fin ils diront vrai. Quiconque veut trouver quelques bons mots, n’a qu’à dire beaucoup de sottises. Dieu garde de mal les gens à la mode, qui n’ont pas d’autre mérite pour être fêtés.