Aller au contenu

Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il en apprend cependant plusieurs, me dit-on : je le nie. J’ai vu de ces petits prodiges qui croyoient parler cinq ou six Langues. Je les ai entendus successivement parle allemand, en termes latins, en termes françois, en termes italiens ; ils se servoient à la vérité de cinq ou six dictionnaires ; mais ils ne parloient toujours qu’allemand. En un mot, donnez aux enfans tant de synonymes qu’il vous plaira ; vous changerez les mots, non la Langue ; ils n’en sauront jamais qu’une.

C’est pour cacher en ceci leur inaptitude qu’on les exerce par préférence sur les Langues mortes, dont il n’y a plus de juges qu’on ne puisse recuser. L’usage familier de ces Langues étant perdu depuis long-tems, on se contente d’imiter ce qu’on en trouve écrit dans les livres ; & l’on appelle cela les parler. Si tel est le grec et le latin des maîtres, qu’on juge de celui des enfans ! À peine ont-ils appris par cœur leur rudiment, auquel ils n’entendent absolument rien, qu’on leur apprend d’abord à rendre un discours françois en mots latins ; puis, quand ils sont plus avancés, à coudre en prose des phrases de Ciceron, & en vers des centons de Virgile. Alors ils croyent parler latin : qui est-ce qui viendra les contredire ?

En quelqu’étude que ce puisse être, sans l’idée des choses représentées, les signes représentans ne sont rien. On borne pourtant toujours l’enfant à ces signes, sans jamais pouvoir lui faire comprendre aucune des choses qu’ils représentent. En pensant lui apprendre la description de la terre, on ne lui apprend qu’à connoître des cartes ; on lui apprend des