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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/169

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noms de villes, de pays, de rivieres, qu’il ne conçoit pas exister ailleurs que sur le papier où on les lui montre. Je me souviens d’avoir vu quelque part une géographie qui commençoit ainsi. Qu’est-ce que le monde ? C’est un globe de carton. Telle est précisément la géographie des enfans. Je pose en fait qu’après deux ans de sphère & de cosmographie, il n’y a pas un seul enfant de dix ans qui, sur les regles qu’on lui a données, sût se conduire de Paris à Saint-Denis : Je pose en fait qu’il n’y en a pas un, qui, sur un plan du jardin de son pere, fût en état d’en suivre les détours sans s’égarer. Voilà ces docteurs qui savent à point nommé où sont Pekin, Ispahan, le Mexique, & tous les pays de la terre.

J’entends dire qu’il convient d’occuper les enfans à des études où il ne faille que des yeux ; cela pourroit être s’il y avoit quelque étude où il ne falût que des yeux ; mais je n’en connois point de telle.

Par une erreur encore plus ridicule, on leur fait étudier l’Histoire : on s’imagine que l’Histoire est à leur portée parce qu’elle n’est qu’un recueil de faits ; mais qu’entend-on par ce mot de faits ? Croit-on que les rapports qui déterminent les faits historiques, soient si faciles à saisir, que les idées s’en forment sans peine dans l’esprit des enfans ? Croit-on que la véritable connoissance des événemens soit séparable de celle de leurs causes, de celle de leurs effets, & que l’historique tienne si peu au moral qu’on puisse connoître l’un sans l’autre ? Si vous ne voyez dans les actions des hommes que les mouvemens extérieurs & purement physiques, qu’apprenez-vous