Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

médecine il n’y avoit pas quinze jours, et qui ne l’avoit prise qu’avec une peine infinie, en avoit encore le déboire à la bouche. La mort, l’empoisonnement, ne passaient dans son esprit que pour des sensations désagréables, & il ne concevoit pas, pour lui, d’autre poison que du séné. Cependant il faut avouer que la fermeté du héros avoit fait une grande impression sur son jeune cœur, & qu’à la première médecine il faudroit avaler il avoit bien résolu d’être un Alexandre. Sans entrer dans des éclaircissements qui passaient évidemment sa portée, je le confirmai dans ces dispositions louables, et je m’en retournai riant en moi-même de la haute sagesse es pères & des maîtres, qui pensent apprendre l’histoire aux enfants.

Il est aisé de mettre dans leurs bouches les mots de rois, d’empires, de guerres, de conquêtes, de révolutions, de lois ; mais quand il sera question d’attacher à ces mots des idées nettes, il y aura loin de l’entretien du jardinier Robert à toutes ces explications.

Quelques lecteurs, mécontents du Tais-toi, Jean-Jacques, demanderont, je le prévois, ce que je trouve enfin de si beau dans l’action d’Alexandre. Infortunés ! s’il faut vous le dire, comment le comprendrez-vous ? C’est qu’Alexandre croyait à la vertu ; c’est qu’il y croyoit sur sa tête, sur sa propre vie ; c’est que sa grande me étoit faite pour y croire. Ô que cette médecine avalée étoit une belle profession de foi ! Non, jamais mortel n’en fit une si sublime. S’il est quelque moderne Alexandre, qu’on me le montre à de pareils traits.