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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/185

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il s’agit d’aller demain manger de la crême… on ne sait où ni avec qui… combien on fait d’efforts pour lire le reste ! je ne crois pas qu’Émile ait besoin du bureau. Parlerai-je à présent de l’écriture ? Non, j’ai honte de m’amuser à ces niaiseries dans un traité de l’éducation.

J’ajouterai ce seul mot qui fait une importante maxime ; c’est que, d’ordinaire, on obtient très-surement & très-vîte ce qu’on n’est pas pressé d’obtenir. Je suis presque sûr qu’Émile saura parfaitement lire & écrire avant l’âge de dix ans, précisément parce qu’il m’importe fort peu qu’il le sache avant quinze ; mais j’aimerois mieux qu’il ne sçût jamais lire que d’acheter cette science au prix de tout ce qui peut la rendre utile : de quoi lui servira la lecture quand on l’en aura rebuté pour jamais ? Id in primis cavere oportebit, ne studia, qui amare nondum poterit, oderit, & amaritudinem semel perceptam etiam ultra rudes annos reformidet [1].

Plus j’insiste sur ma méthode inactive, plus je sens les objections se renforcer. Si votre Éleve n’apprend rien de vous, il apprendra des autres. Si vous ne prévenez l’erreur par la vérité, il apprendra des mensonges ; les préjugés que vous craignez de lui donner, il les recevra de tout ce qui l’environne ; ils entreront par tous ses sens ; ou ils corrompront sa raison, même avant qu’elle soit formée, ou son esprit engourdi par une longue inaction s’absorbera dans la

  1. ( 16 ) Quintil. L. I. c. I.