Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/187

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reste, fais ceci, ne fais pas cela. Si votre tête conduit toujours ses bras, la sienne lui devient inutile. Mais souvenez vous de nos conventions : si vous n’êtes qu’un pédant, ce n’est pas la peine de me lire.

C’est une erreur bien pitoyable d’imaginer que l’exercice du corps nuise aux opérations de l’esprit ; comme si ces deux actions ne devaient pas marcher de concert, & que l’une ne dût pas toujours diriger l’autre !

Il y a deux sortes d’hommes dont les corps sont dans un exercice continuel, & qui sûrement songent aussi peu les uns que les autres à cultiver leur âme, savoir, les paysans & les sauvages. Les premiers sont rustres, grossiers, maladroits ; les autres, connus par leur grand sens, le sont encore par la subtilité de leur esprit ; généralement : il n’y a rien de plus lourd qu’un paysan, ni rien de plus fin qu’un sauvage. D’où vient cette différence ? C’est que le premier, faisant toujours ce qu’on lui commande, ou ce qu’il a vu faire à son père ou ce qu’il a fait lui-même dès sa jeunesse, ne va jamais que par routine ; &, dans sa vie presque automate, occupé sans cesse des mêmes travaux, l’habitude & l’obéissance lui tiennent lieu de raison.

Pour le sauvage, c’est autre chose : n’étant attaché à aucun lieu, n’ayant point de tâche prescrite, n’obéissant à personne, sans autre loi que sa volonté, il est forcé de raisonner à chaque action de sa vie ; il ne fait pas un mouvement, pas un pas, sans en avoir d’avance envisagé les suites. Ainsi, plus son corps s’exerce, plus son esprit s’éclaire ; sa force & sa raison croissent à la fois & s’entendent l’une par l’autre.